samedi 11 avril 2009

Messieurs Sarkozy, Descoings et Darcos au lycée Champlain par Marie-Laure Aboulker


Mercredi 8 avril je suis débordée, débordée et stressée.

Le matin notre Proviseur adjoint me demande de présenter l'expérience Enseigner autrement reconduite cette année en classe de seconde pendant la table ronde programmée cette après midi même avec M. Descoings à 15h. J'ai cours toute la matinée jusqu'à 13h et ai prévu de faire les dernières courses nécessaires à l'élaboration du premier Séder de Pessah, entre les deux. Pas de panique, je maîtrise l'expérience, je devrais arriver à en parler sans grande préparation.

Cette consultation nationale est un événement sans précédent en France. Je compte bien y assister et présenter Enseigner autrement à M. Descoings. L'occasion m'est donnée de faire connaître La Méthode Chalude de la Performance et de partager tout ce que j'en tire de positif dans ma pratique pédagogique.

Je fais mes courses, rentre sans tarder chez moi, et imprime tous les documents relatifs à Enseigner autrement pour me préparer d'une part, et d'autre part pour constituer un dossier à remettre à M. Descoings.

Beaucoup moins stressée maintenant mais toujours aussi débordée, je retourne au lycée, sans savoir ce qui m'attend...

L'endroit choisi pour la table ronde est l'un des réfectoires du lycée et je m'y installe avec Nathalie, la collègue à l'origine de la classe de seconde expérimentale, à laquelle je participe aussi et que nous avons appelée : World Tour. Nathalie a pour mission de mentionner toutes les expériences innovantes faites au lycée et de me laisser ensuite la parole pour que j'expose la mienne.

L'agitation, la présence de messieurs-costumes-foncés, oreillettes et cordons zigzagant au cou, les joues et le crâne rougis de notre Proviseur, nous font pressentir que Monsieur Descoings n'est pas venu seul.

En effet, l'accompagnent Xavier Darcos, notre ministre et Nicolas Sarkozy, notre président. En un temps record, alors que je n'ai pas terminé ma conversation avec ma voisine Conseillère en Formation Continue, ces trois hommes prennent place à un mètre de nous sur des chaises d'école. Notre proviseur, maintenant grenat, prend la parole pour saluer la visite surprise du Président et déclare le forum ouvert.

Monsieur Descoings reprend le flambeau puis un élève du lycée attaque aussitôt, le micro que Cyril Delaye, le conseiller du chargé de mission pour la réforme du lycée lui a tendu, à la main. Le débat est lancé.

Nicolas Sarkozy écoute la question de l'élève et M. Descoings y répondre en un développement argumenté qui me fait craindre que ce forum ne soit qu'un long monologue et non pas l'échange prévu.
Mais je me trompe.

Les questions des élèves se suivent et Richard Descoings prend son temps pour y répondre en parlant : "sous le contrôle de Monsieur le Président" qui est attentif et sage. Mais il ne résiste pas longtemps à l'envie de s'exprimer, et sans notes et dans une posture décontractée qui témoigne d'une grande habitude à parler en public, il apporte des réponses, donne des informations, exprime des convictions. Très vite, l'assemblée ne s'adresse plus qu'à lui et oublie la présence de Richard Décoings et celle de Xavier Darcos. L'inconfort des chaises de cantine ne semble pas gêner M. Sarkozy qui parle avec passion et : "sous le contrôle de Monsieur Descoings." Il se montre attentif aux personnes présentes, sympathique, et semble très bien connaître son dossier.

Quant à Xavier Darcos personne n'aura l'occasion d'entendre le son de sa voix sauf notre Proviseur que je surprends à bavarder avec lui alors que le président est en train de parler(!).

Les questions, les interventions de parents d'élèves, les interpellations des collègues, les doutes, les craintes, les remarques des élèves, des enseignants et des autres intervenants font écho aux réponses, aux propos rassurants, fermes, aux conseils aux élèves et aux précautions oratoires du président vis à vis du corps enseignant.

Nous avions voulu que la consultation se passe en plusieurs temps et sans langue de bois. Les élèves volontaires avaient préparé leurs questions, les enseignants volontaires certaines interventions. D'autres interventions étaient plus spontanées, parfois plus "agressives" mais toujours extrêmement courtoises.
Une trentaine de thèmes a été abordée : l'absentéisme croissant et de plus en plus ingérable des élèves dès la seconde par le Conseiller Principal d'Education, l'inégalité financière entre les élèves dans la participation aux voyages scolaires, les mauvaises conditions de travail des enseignants et des élèves, la quasi-inexistence d'une politique de gestion de la santé des enseignants, la délicate question du rôle des entreprises à l'école, les stages, les filières, l'orientation, la préparation des élèves au baccalauréat, l'autonomie des établissements, l'organisation du temps scolaire, l'apprentissage des langues étrangères etc...

Et puis à mon tour je prends la parole et je soulève la question à mon sens cruciale de la formation et de la formation continue des enseignants. Nous sommes la seule corporation à ne pas bénéficier d'une véritable formation prodiguée par des spécialistes. Et je raconte à Monsieur Sarkozy que quand appuyée par ma direction j'ai sollicité une aide négociée, c'est à dire une formation collective à laquelle ont souscrit 25 collègues l'année dernière, la réponse d'abord positive est devenue bizarrement négative quand il s'est agit de rémunérer le formateur spécialiste Michel Chalude extérieur à l’Education Nationale à sa juste valeur.

J'ajoute que pour réussir il faut des élèves et des enseignants heureux et que le plaisir d'enseigner doit rencontrer le plaisir d'apprendre.
Plus tard Monsieur Sarkozy, est interpellé par un élève sur la notion de plaisir et déclare que c'est de l'effort que provient le plaisir.

Malheureusement ce discours ne convainc plus les élèves d'aujourd'hui. Il est inefficace pour la grande majorité d'entre eux car il est incomplet. Si pour certains l'effort est naturel car ils savent par expérience qu'au bout ils rencontreront les résultats escomptés et en tireront fierté et plaisir, d'autres doivent en être convaincus a priori. Comment donc les convaincre si ce n'est en leur proposant des activités qui les touchent et leur font plaisir ?

Le plaisir qu'un élève pensera trouver dans un travail le poussera à effectuer ce travail qui pourra ainsi lui donner du plaisir.
Cela s'appelle la MOTIVATION. Sans motivation pas de travail efficace et durable. Il nous faut donc proposer du plaisir à nos élèves pour qu'ils fassent les efforts qui leur procureront du plaisir, et ainsi de suite. CQFD.

Ainsi peu à peu ils intègreront par expérience que les efforts procurent du plaisir et accepteront avec enthousiasme des activités et des apprentissages plus "difficiles" car ils auront foi en la réussite de ce qu'ils entreprendront.

D'après Michel Chalude et son modèle : "le plaisir vient après l'effort", "la foi vient avant l'effort" et le deuxième souffle vient pendant l'effort"
L : l'image positive de l'avenir: j'y crois. Ceci représente, au départ, la foi que je vais réaliser quelque chose d'important.
M : la discipline de travail, le rythme de production quelque peu mécanique, "il faut mettre un mot devant l'autre et recommencer" pas à pas. Ceci correspond au deuxième souffle.
C : le plaisir de se détendre, le désir d'innover, l'envie d'évoluer, de grandir encore ou de faire grandir. Ceci relance la motivation jusqu'à la réussite finale.

C'est tout le sens de ma démarche d'enseignante et de mon expérience Enseigner autrement.

Il est 17 heures passées, Monsieur Sarkozy doit partir, il répond à une dernière question et, semble-t-il satisfait, nous quitte.
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